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Évaluer autrement...un pas à la fois

Updated: Mar 24, 2021



Contrairement à d'autres enseignants, je suis très lente à changer mes pratiques. J'aime changer un aspect à la fois ce qui fait en sorte que les changements se font sur plusieurs années. Depuis quelques années, j'ai mis l'accent sur la littérature jeunesse. Je suis maintenant très à l'aise et cela m'a amené à voir différemment l'évaluation en lecture. Cela a donc déclenché un processus de réflexion professionnelle sur l'évaluation. Plusieurs enseignants partagent déjà leur façon de faire et naturellement, je m'en suis inspirée. De plus, il existe beaucoup de documents déjà prêts pour aider l'enseignant à faire la transition entre l'évaluation traditionnelle et l'évaluation différente qui est vraiment plus au service de l'élève.


Étant donné que mon processus de réflexion et de changements est très long, je peux donc vous présenter les différentes étapes de ma réflexion. Je suis très loin de ce que j'aimerais vraiment faire dans ma tête pour une multitude de raisons, des bonnes et des moins bonnes hihihi, mais mon intention reste la même: évaluer différemment et au service de l'élève.


Cet article pourrait être aussi long que l'autoroute entre Montréal et Québec tellement le sujet de l'évaluation est vaste. Je vous partage ma réflexion et les outils qui m'ont aidé à me faire une tête. À la fin de l'article, je vous partage quelques liens vers des articles intéressants qui m'ont accompagné dans mon questionnement.


De plus, je veux m'assurer que les propos tenus ne sont pas dans un but de pointer ceux qui évaluent de façon plus traditionnelle ou qui ne veulent pas changer leur façon de faire. Je vous présente MA RÉFLEXION, MON EXPÉRIENCE et MES CHOIX en tant qu'enseignante. Il se pourrait donc très bien que cet article ne vous rejoigne pas si vous n'êtes pas dans ce processus de réflexion. Merci d'en tenir compte dans vos commentaires.


Pourquoi évaluer autrement?


La première question à se poser est pourquoi évaluer autrement? Par autrement, j'entends de s'éloigner de l'évaluation traditionnelle sommative pour fournir une note chiffrée. Cela fait bientôt 10 ans que j'enseigne et j'ai assez d'expérience pour reconnaître que l'évaluation est, selon moi, une des causes de la démotivation et du stress chez nos élèves, parfois dès le début de leur scolarité. Mon objectif premier a toujours été de motiver mes élèves par les activités pédagogiques vécues en classe. Malheureusement, malgré ma planification dont je suis assez fière, il reste que beaucoup d'élèves ne sont pas trop motivés ou qu'ils accordent beaucoup trop d'importance à mes yeux à leurs notes et non à leur progression. Peu importe si les activités sont variées, intéressantes et engageantes, lorsque les évaluations sont remises et que le bulletin arrive, les élèves tombent dans une spirale de comparaison et ils sont très déçus.


Naturellement, pour changer cela, il faut changer sa façon d'évaluer. Plutôt que de mettre une note au final, l'évaluation devrait accompagner l'élève tout au long de son processus d'apprentissage. Dans ce sens, étant donné que chacun élève a son propre chemin, l'évaluation devrait aussi être différenciée pour répondre aux besoins différents des élèves. Par contre, cela ne se fait pas en criant ciseaux et plusieurs obstacles se trouvent sur notre chemin.


Les obstacles aux changements


En faisant le choix d'éviter de mettre des notes chiffrées, je fais donc le choix d'évaluer plus par des commentaires et de la rétroaction. Par contre, notre système de bulletins chiffrés est contradictoire au fonctionnement par compétence. L'évaluation d'une compétence demande une évaluation formative, plus sous forme de rétroaction que de note chiffrée. Comment suivre le programme de formation québécoise tel qu'il a été conçu si le produit final n'est pas logique? Étant donné le bulletin chiffré, je dois, malgré ma volonté d'utiliser l'évaluation au service des apprentissages de mes élèves, mettre une note chiffrée au bulletin. Dans cet article, dans la section Impasse et effets pervers de l'évaluation chiffrée, l'auteur présente un exemple de note d'une compétence pour une année complète en tenant compte de la pondération des bulletins en comparant 2 élèves. Les 2 élèves obtiennent la même note à la fin ce qui ne démontre pas du tout la progression très différentes des 2 élèves.


Les parents, qui ont vécu le bulletin chiffré tout au long de leur parcours scolaire (comme moi d'ailleurs), ont des attentes liées à leur expérience personnelle. La réussite se mesure aux notes. Changer cette philosophie est très ardue étant donné que plusieurs choix dans la vie d'un enfant se basent sur ses notes de bulletin (entrée au secondaire, examens d'entrée au secondaire, classement, entrée au collégial, etc.). Bien qu'un parent comprenne le pourquoi de l'évaluation non-chiffrée, il est difficile pour lui de s'y engager pleinement, étant donné que tout est basé sur les chiffres.


Le palmarès des écoles secondaires, la comparaison des écoles selon les moyennes de groupe, les bulletins de 5e année du primaire qui sont pris en considération pour l'entrée au secondaire, bref, ce sont tous des facteurs qui font en sorte que le changement est difficile.


Un autre obstacle peut être du fait qu'il faut changer ses pratiques. Si j'évalue de façon plus traditionnelle depuis plusieurs années, il est difficile de changer si je trouve que mes choix pédagogiques fonctionnent. L'équipe-niveau (en fait l'équipe-cycle qu'on oublie parfois) devrait s'entendre sur la façon d'évaluer. Parfois, amener un changement dans une équipe d'expérience, c'est aussi difficile.


Étant donné que la pondération des évaluations et même le choix d'évaluer certaines compétences à certaines étapes selon le Régime pédagogique revient à l'enseignant (ou à l'équipe), les différences entres les niveaux, entre les cycles, entre les écoles et entre les régions peuvent être très grandes. Comment peut-on alors comparer des écoles entre elles et conclure que des élèves sont plus en difficulté que d'autres?


Un argument qu'on peut entendre est que d'enlever les notes chiffrées est un nivèlement par le bas. Encore là, un élève qui répond bien aux évaluations n'est pas nécessairement un futur adulte ayant les compétences pour vivre dans une société moderne (une des missions de l'école est de qualifier nos élèves). Un élève qui n'a jamais vraiment vécu de difficultés scolaires n'a peut-être pas développé des stratégies efficaces de travail ou une attitude positive face aux obstacles. Un élève en difficultés peut, lui, avoir développer des stratégies et des habiletés pour faire face à différents problèmes qui se trouvent sur sa route. En entrevue pour un poste dans une compagnie par exemple, quel employé choisiriez-vous? Une personne qui a toujours tout réussi facilement ou une personne qui est capable de fournir des efforts et de se relever les manches face à un défi?


Je sais que c'est un exemple qui ne prend pas en considération toutes les nuances, car un élève fort peut aussi développer des stratégies et un élève faible peut aussi être sans solution devant un problème. Il reste que l'argument de la performance des notes n'est pas un critère de réussite nécessaire lorsqu'on regarde globalement le profil d'une personne.


Mon processus de changement

Je vous partage donc les petits pas que je fais en direction de l'évaluation différente. Bien que plusieurs facteurs nommés plus hauts sont présents (bulletin chiffré par exemple), je pense que je peux quand même adapter mes moyens d'évaluation et essayer le plus possible d'utiliser l'évaluation au service de mes élèves même si j'ai parfois l'impression de nager à contre courant dans notre système axé sur la performance.


L'écriture

C'est la matière que j'ai changé le plus rapidement dans mon évaluation. Les grosses situations d'écriture me dégoûtent. Je déteste les corriger et cela demande tellement de temps dans une classe. J'en parle un peu dans cet article. Étant donné que je fais beaucoup de 5 à 7, je peux prendre des mesures de ces petits textes. Je peux ensuite compiler le tout pour m'aider à établir mon jugement de la compétence des élèves. J'utilise cette grille de Prof à la deux où je me mets quelques notes pour compiler les différentes observations effectuées dans les petits et les gros textes de mes élèves. Je fais plusieurs 5 à 7 par étape et une grosse situation d'écriture.


Pour garder des traces des différentes observations sur les 5 à 7, j'utilise les grilles de Entre 2 corrections. Il y a aussi Madame Cynthia qui a fait des grilles. Vous pouvez donc choisir un ou des critères d'écriture qui seront évalués dans une activité d'écriture.


La lecture

Avant d'enseigner à partir de la littérature jeunesse, je faisais très peu des 3 dimensions de la lecture autre que la compréhension. J'ai toujours eu des cahiers d'exercices. Les compréhension de textes fournies par les cahiers ne sont pas toujours complètes et ne respectent pas nécessairement les 4 dimensions de la lecture. En intégrant la littérature jeunesse, l'utilisation du carnet de lecture vient naturellement. Travailler les dimensions de RÉAGIR, INTERPRÉTER et APPRÉCIER s'intègre aussi facilement. En travaillant autrement la lecture, le questionnement sur la valeur des évaluations de lecture fournies par le matériel des cahiers d'exercices est incontournable.


J'ai encore des cahiers d'exercices. Cette année, j'utilise la collection Les Inséparables de La Chenelière et je dois souligner l'excellent travail de cette maison d'éditions. Les 4 dimensions sont présentes et les évaluations sont plus équilibrées. Par contre, je veux aussi utiliser les différentes entrées dans le carnet de lecture.


J'aimais beaucoup l'idée de la grille de compilation en écriture. Je voulais donc avoir le même fonctionnement en lecture. Je voulais trouver la pondération des différents critères (pour mettre une note chiffrée, pas le choix!), comme en écriture. Le site du CSS Des Découvreurs est une vraie mine d'or. Avec les informations trouvées, j'ai conçu une grille très simple pour la compilation de mes traces en lecture. J'utilise aussi une grille semblable pour planifier les différentes traces que j'utiliserai.

Voici mes grilles (une pour la compilation et une pour la planification des traces). Pour les télécharger, cliquez ici.


J'imprime donc une grille par élève par étape. Je compile mes différentes traces sur chacune des grilles au fur et à mesure (pour éviter de compiler une dizaine de traces à la fin de l'étape).


Les mathématiques

Bien sincèrement, les mathématiques et l'univers social sont les 2 disciplines où j'ai le plus de difficulté à changer mon évaluation.


Selon les évaluations créées par le Ministère, la compétence 2 en maths devrait comporter 40% d'évaluations de maîtrise des connaissances et 60% de situations d'application (d'action et de validation) et je comprends tout à fait pourquoi. (Pour plus de détails, je vous invite à visiter le site du CSS des Découvreurs. Le lien se trouve en bas de l'article). Par contre, dans mon enseignement, la maîtrise des connaissances prend souvent une très grande place. Cela demande donc aussi un changement de pratique de ma part dans mon enseignement.


À court terme, j'aimerais partir du sentiment de compétence des élèves. Sur Instagram, la page Dans le bureau de l'ortho avait partagé quelques astuces pour mettre en place une évaluation différenciée en classe. Une de ses astuces était de donner le choix aux élèves du moment où ils passent l'évaluation. Sans que l'évaluation soit révolutionnaire, je trouve que cela remet la responsabilité aux élèves de tenter de juger de leur maîtrise des concepts. Prof à la deux avait partagé qu'elle donnait une petite grille à remplir aux élèves lors des contrôles de leçons pour qu'ils puisse s'autoévaluer selon les notions vues dernièrement.


Voici un exemple de la grille que j'ai construite pour mes élèves pour le module sur la mesure.


Toujours à partir de la suggestion de Madeleine der Prof à la deux, j'ai aussi intégré un petit tableau pour chacun des numéros lors de mes contrôles bimensuelles. Les élèves doivent donc évaluer leur maîtrise après avoir effectuer chaque numéro. Avant de demander aux élèves de s'évaluer, je voulais prendre le temps avec eux de construire un tableau d'ancrage pour que tous les élèves aient, plus ou moins, une échelle commune. Parfois, les élèves sont très sévères (ou pas assez) envers eux ce qui fait en sorte que leur évaluation est plus ou moins valable. De plus, mon but au bout de cela est d'aider les élèves à utiliser cette autoévaluation-là pour leur progression c'est-à-dire de se questionner si l'élève doit prendre des mesures pour soutenir ses apprentissages. Voici le tableau d'ancrage construit avec mes élèves. Ce sont leurs mots et leurs idées. Pour qu'un tableau d'ancrage soit pertinent, cela doit partir des élèves. Il se pourrait donc que le tableau soit différent avec un autre groupe d'enfants!



Toujours sur Instagram, Mme Benita a pris l'idée de Prof à la deux et suite à la petite grille d'autoévaluation, elle peut planifier 2 ou 3 moments où l'évaluation aura lieu. Les élèves peuvent donc juger s'ils sont prêts ou s'ils ont besoin de plus de temps pour se préparer. Pendant que certains élèves font l'évaluation, je peux donc travailler avec certains enfants ou leur fournir des tâches pour s'exercer davantage. De plus, étant donné que les situations problèmes n'ont pas une seule réponse possible, je n'ai pas besoin de modifier quoi que ce soit si jamais les élèves se parlent. Je trouve que ce genre de moyen pour différencier l'évaluation n'est pas trop difficile à intégrer dans une planification existante. Je le planifie donc assurément pour le mois de mars!


Mise à jour: ma classe a fermé dû à un cas de COVID. Je dois donc revoir un peu ma planification! Oups!


Dans un futur un peu plus loin, j'aimerais changer mon évaluation en maths pour partir d'une situation complexe plutôt que de construire les notions vers une situation de problème. J'aimerais aussi effectuer des entretiens pour évaluer un peu plus ce qui se passe dans la tête de mes élèves plutôt que de me fier uniquement à ce que je vois sur papier. C'est mon prochain défi!


Les sciences

Les sciences ont toujours été évaluées différemment dans mon cas. Je n'ai jamais eu de cahier en sciences. Je fonctionnais et je fonctionne encore uniquement en projets. Je n'évalue pas toujours tous les critères dans mes projets. Je crée des grilles en me basant sur les critères d'évaluation. Pour chacun de mes projets, j'essaie de choisir 2 ou 3 critères qui seront évalués. De cette façon, dans une étape, les élèves ont été évalués sur chacun des critères au moins une fois.


Je vous invite à lire mon article sur l'enseignement des sciences où je parle plus en détails de l'évaluation de cette matière au primaire.


Utiliser les évaluations

Je prends plusieurs mesures de la progression de mes élèves dans ma classe sans évaluer de façon sommative. Par contre, les évaluations donnent aussi des informations pouvant être utilisées lors de la planification des contenus d'apprentissage ou encore lors de la planification de sous-groupes par exemple. L'évaluation ne devrait pas être une finalité en soi. Pour en apprendre un peu plus sur mon fonctionnement en sous-groupe, je vous invite à lire mon article sur le sujet. Vous pouvez aussi visionner la vidéo qui résume le tout.


Je trouve que les grilles de compilation en lecture et en écriture peuvent vraiment être très pertinentes pour ce genre de planification. À la fin de l'étape, en remplissant une grille de compilation de groupe, cela permet d'obtenir un portrait rapide et visuel de mon groupe. On peut donc voir où le groupe a des défis et où certains élèves ont besoin de beaucoup plus de soutien. Dans le premier cas, cela demande un ré-enseignement (niveau 1) en grand groupe. Dans le deuxième cas, vous pouvez planifier des sous-groupes ou des récupérations selon votre organisation. De cette façon, en prenant une mesure à la suite du soutien fourni, vous pouvez davantage évaluer la progression de chacun des élèves.


Les outils d'évaluation formative

J'en ai nommé quelques uns à travers l'article dont les grilles qualitatives qu'on peut trouver sur le web.


Un autre outil pouvant soutenir l'évaluation de la progression des apprentissages est la correction des travaux en classe. Comme j'ai dit un peu plus haut, j'utilise des cahiers d'exercices. Cela veut donc dire que mes élèves effectuent des travaux dans les cahiers. Malgré ce genre de moyen pédagogique dit plus traditionnel, je corrige uniquement ce que je juge le plus pertinent dans mon évaluation de la progression des élèves. Par contre, corriger un cahier revient surtout à indiquer à l'élève là où se trouve ses fautes. Est-ce vraiment aidant pour lui? Pour moi, je suis capable de traiter l'information et de juger si l'élève progresse ou non. Par contre, pour lui, est-ce vraiment le cas? Je suis encore en réflexion pour voir comment est-ce que je pourrais utiliser cette correction au service de l'élève et non uniquement pour mon jugement professionnel.


Je veux changer la relation qu'ont les élèves avec les erreurs. C'est rare qu'un enfant sera heureux de s'être trompé. Bien que je pense réellement ne pas mettre l'accent sur les bonnes notes dans ma classe, il reste que plusieurs choix pédagogiques de ma part envoie un message contradictoire aux élèves.

 

Je crois que l'évaluation restera toujours un défi de taille dans ma pratique enseignante. Je suis très loin de ce que je m'imagine comme but ultime de l'évaluation différente au service des élèves. Il reste que je pense que mon processus de réflexion et de changement, un petit pas à la fois, est valide. Si je veux permettre aux élèves de progresser dans un environnement axé sur le développement des compétences, je dois accepter de faire des petits pas et apprécier mon cheminement vers un changement profond de pratique.


Finalement, je vous laisse sur une citation trouvée sur Instagram qui illustre bien où je suis rendue dans ma réflexion face à l'évaluation malgré les obstacles à notre volonté de changement.


«La chasse continuelle aux fautes a quelque chose de malsain. Si l'on ne suppose pas acquis ce qui précisément est à acquérir, on ne mesurera pas les échecs, mais le progrès.»

Nina Catach, 2005

 

Ressources intéressantes


- Le site du CSS Des Découvreurs présente un résumé de l'évaluation des compétences au primaire. Plusieurs grilles sont aussi disponibles.


- L'article Pour une réévaluation de l'évaluation de l'École Branchée (cité un peu plus haut) par Monique Lachance


- L'article sur l'évaluation formative plutôt que sommative du RIRE (Réseau d'information pour la réussite éducative)

- Le cadre de référence de l'évaluation des apprentissages au préscolaire et au primaire (émis par le ministère de l'éducation en 2002)

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